— Par Anouk Charbonneau
La tuerie de Polytechnique le 6 décembre 1989 fait partie de ces événements qui ont marqué l’histoire et l’imaginaire collectif. La plupart des Québécois se rappellent exactement ce qu’ils faisaient lorsqu’ils ont appris l’événement et de nombreux hommages aux victimes sont rendus chaque anniversaire afin de faire perdurer la mémoire des victimes. Chaque 6 décembre, le comédien Jean-Marc Dalphond publie le nom des victimes sur ses réseaux sociaux, dont fait partie sa cousine. Lorsqu’il fait sa publication en 2018, il reçoit des commentaires haineux. Cette même journée, il répond à une publication de la comédienne Marie-Joanne Boucher, soulignant essentiellement l’importance de bien aiguiller nos garçons pour que cet événement ne soit qu’un mauvais souvenir. Tous les deux ne se doutent pas à ce moment que la conversation qui suivra ces échanges mènera au projet de théâtre documentaire Projet Polytechnique. « Après avoir parlé avec Jean-Marc, j’étais comme habitée d’une mission. Je me disais que ça ne se pouvait pas qu’on reste là à ne rien faire, mais surtout, je me disais qu’il faut que je comprenne pourquoi il y a des gens qui pensent comme ça », nous mentionne Marie-Joanne Boucher en entrevue.
Loin d’être une reconstitution historique, la pièce met en lumière la soif de comprendre du tandem de création composé de Marie-Joanne Boucher et Jean-Marc Dalphond. Violence faite aux femmes, haine sur les réseaux sociaux, contrôle des armes à feu, féminisme, masculinisme… de nombreux sujets ont été abordés lors des rencontres réalisées au cours des cinq années qu’aura duré le processus de création. Accompagnés de Porte-Parole, spécialiste du théâtre documentaire derrière des pièces telles que J’aime Hydro et Tout inclus, Marie-Joanne et Jean-Marc ont eu la chance de voir toutes les portes s’ouvrir lorsqu’ils y cognaient.
La comédienne l’avoue d’emblée, ce processus de création est complètement différent d’un projet plus traditionnel. « Dans du théâtre documentaire, tu demandes aux gens d’être honnêtes et généreux, donc il faut que toi aussi tu le sois dans le récit. Il faut que tu sois prêt à mettre aussi de ton vécu parce qu’on documente notre vie. Dès notre première rencontre avec Anabel Soutar [dramaturge documentaire et cofondatrice de Porte-Parole], elle nous a dit d’enregistrer toutes nos conversations. À partir de là, c’est comme si tout devenait matière à faire partie de l’œuvre. »
Après avoir fait le tri dans les rencontres et les événements vécus durant leurs années de recherche, les créateurs ont donc théâtralisé et poétisé leur vie pour en faire le récit Projet Polytechnique. Ils y jouent leur propre rôle et sont accompagnés de sept comédiens et musiciens afin de représenter la collectivité et la communauté rencontrée. La pièce a été présentée à Montréal en décembre dernier. Marie-Joanne Boucher témoigne de la réception de la pièce par le public : « À Montréal, on a eu des salles bondées avec un public à l’écoute et silencieux chaque fois. Et on a reçu de nombreux messages touchants après les spectacles, soulignant parfois que c’était une des plus grandes expériences de théâtre jamais vécues. On a donc hâte de partir à la rencontre du public en tournée. »
La tragédie de Polytechnique étant le point de départ de la pièce, les questions vont dans plusieurs sens. S’il n’y avait qu’une seule chose à retenir, quelle serait-elle? « C’est certain que la quête d’arrêter la violence est fortuite. Notre trame, c’est une trame de compréhension et d’écoute envers l’autre. On va à la rencontre de ceux qu’on ne comprend pas. Après 5 ans de recherche, on pense que la solution se trouve dans le vivre ensemble. Juste à s’intéresser à l’autre. » Au fil de leurs années de recherche, du balado et du processus de création de la pièce, les idéateurs du projet ont fait leur part pour comprendre. Convaincus que chacun peut contribuer à la solution dans une théorie des petits pas, ils invitent maintenant le public à assister à la pièce et à entrer dans la réflexion.
Le théâtre documentaire Projet Polytechnique sera de passage au Centre des arts Juliette-Lassonde le jeudi 28 mars 2024. Cliquez ici pour vous procurer des billets.
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